Jacques Normand en entrevue avec Christian Lavoie.
Celui dont la plupart des Québécois se souviennent comme de l'enfant terrible des ondes, qui a notamment coanimé Les Couche-Tard avec
Roger Baulu, fut d'abord un homme de radio et un roi de la scène où il excellait à pousser la chansonnette et à improviser des monologues
commentant l'actualité socio-politique.

Originaire de la ville de Québec, Raymond Chouinard se destine à une carrière sportive lorsqu'un grave accident de natation le cloue au lit pour
un temps. Il consacre alors tous ses loisirs à écouter les vedettes radiophoniques de l'époque, dont Roger Baulu. Lorsqu'il sort de l'hôpital, le
jeune Raymond sait qu'il veut devenir animateur à la radio. C'est au début des années quarante, qu'il commence sa vie publique à la station
CHRC dont il se fait congédier pour avoir interrompu la diffusion d'un discours du général De Gaule! Malgré cette bévue (la première d'une
longue série), il décroche un emploi d'animateur-chanteur à CKCV quelques jours plus tard. L'animateur-vedette de la station, Saint-Georges
Côté lui suggère alors d'adopter le pseudonyme Jacques Normand. S'il se risque déjà à glisser quelques refrains entre deux propos, c'est
pourtant à CBV qu'on lui confiera une première émission à caractère vraiment musical: Ici on chante est diffusée à travers tout le réseau de
Radio-Canada chaque samedi soir et l'animateur chanteur y est accompagné, à la façon du temps, du grand orchestre du Château Frontenac sous
la direction de Gilbert Darisse. Il chante également à une émission matinale animée par le jeune annonceur René Lévesque. Le hasard des
affectations l'amène à couvrir comme reporter la rencontre historique à Québec entre Churchill, Roosevelt et MacKenzie King. Il y travaille
avec son idole Roger Baulu, qui sera son meilleur ami tout le long de sa vie.

L'aisance et la gouaille du chanteur lui valent bientôt un triomphe international à la radio new-yorkaise où on le présente comme Jacques
Normand from Paris, dans la veine de Maurice Chevalier. À son retour au Québec, en janvier 1946, il joue au Monument National avec Lise Roy,
Roland D'Amour, Janine Sutto, Mimi Destée et la vedette Alys Robi dans la revue musicale Ça atomiquet-y? d'Henry Deyglun. En novembre
1946, il devient une des premières vedettes de la station de radio CKVL à Verdun, qui ne diffuse que de 7h 30 à 16h 30, où il coanime La Parade
de la chansonnette française avec Jacques Desbaillets -et un peu plus tard Guy Maufette- puis, en direct du Théâtre Bijou, Le Fantôme au clavier
avec le pianiste Billy Munroe.

À la fin de la décennie, il grave ses premiers disques 78 tours où il reprend des succès tricolores tels que "La mer" de Trenet, "Bébert" de
Chevalier ou "C'est si bon". En 1948 il coanime avec la chanteuse et comédienne Lise Roy, qu'il avait épousée l'année précédente, l'émission Y'a
du soleil sur les ondes de CKAC. Les commanditaires de cette émission, les fabricants de la gomme à mâcher Wrigley, les invitent à faire une
émission de radio à Chicago le 23 décembre 1948 puis à participer, le jour de Noël, à une émission radiodiffusée dans toute l'Amérique et
comprenant plusieurs célébrités, dont Bing Crosby, George Burn, les Andrew Sisters, Gene Autry et Lionel Barrymore. Cet évènement est
souligné avec éclat par une visite chez le maire de Montréal et des fêtes populaires au départ et à l'arrivée. Jacques Normand est élu l'artiste le
plus populaire du Canada français en 1949 par les lecteurs de l'hebdomadaire Radiomonde. En quelques mois, il devient la coqueluche des
noctambules en animant le cabaret Le Faisan Doré où l'atmosphère n'est pas sans rappeler celle des boîtes du Montmartre de l'après-guerre.
C'est pendant ce bref épisode (le Faisan ne sera actif que de 1947 à 1950) qu'est créé le thème légendaire "Les nuits de Montréal" par un autre
habitué de l'endroit, Jean Rafa et l'accordéoniste français Émile Prud'homme. Jacques Normand endisque alors plusieurs autres créations de
l'équipe du Faisan doré, dont "Il faut de tout pour faire un monde", "En revenant de Québec" ou "Retour" du duo Roche et Aznavour.

C'est sur la recommandation de Jacques Normand que l'impresario Jacques Canetti fait passer, en mai 1950, une audition à Félix Leclerc. À la
naissance de la télévision canadienne en 1952, l'animateur fantaisiste fait le saut vers la télévision où il anime successivement le Café des
artistes, Porte ouverte et Music-Hall, tout en poursuivant sa carrière de présentateur, notamment aux cabarets Le Continental et Le
Saint-Germain-des-Prés, inauguré, en octobre 1953. Cette petite salle de 150 places contribuera à donner à Montréal, ville éminemment
nord-américaine, une image un peu plus française. À la même époque, Jacques mets sur pied une troupe comprenant Paul Berval, Colette
Bonheur, Gilles Pellerin et l'ensemble musical de Robert Cousineau, futur membre des Scribes. Cette troupe se produit avec succès peu après
Chez Gérard à Québec. Active jusqu'en 1958, elle verra défiler, au fil des ans, le caricaturiste Normand Hudon, Pierre Thériault (Monsieur
Surprise), Fernande Giroux, Christiane Breton et Clémence DesRochers.

En août 1953, Jacques Normand et une troupe comprenant notamment Mae Séguin et Lolita de Carlo s'étaient produits devant les troupes
armées canadiennes en Corée et au Japon. En février 1954, il remplit le même type de mission en Allemagne avec Jeanne-d'Arc Charlebois, se
produisant par la suite avec elle à l'émission de télévision parisienne Les Soucoupes volantes, animée par Jean Nohain. En septembre, la troupe
du Saint-Germain-des-prés se transporte aux Trois Castors, boîte d'humour et de théâtre ouverte à l'étage du Café Saint-Jacques de Françoys
Pilon. En plus de sketches humoristiques avec son comparse Gilles Pellerin, Jacques Normand joue parfois la comédie dans de petites pièces en
un acte: Vous êtes l'auteur, Les boulingrins, Le mari idéal, aux côtés de Monique Leyrac, Jean Dalmain, Guy Hoffman, Georges Groulx et
plusieurs autres. En septembre 1956, Jacques Normand connaît un important succès avec la revue La ville détrack, en compagnie de la troupe du
Rirathon de Marcel Gamache. Suite à son départ fracassant de l'émission Porte ouverte, il présente la revue Porte fermée aux Trois Castors
pendant plusieurs semaines.

Au début des années 1960, Jacques Normand anime successivement les émissions de variétés Music-Hall, En habit du dimanche et Têtes
d'affiche à la télévision de la SRC. Sa réputation d'enfant terrible lui vaut une grande popularité que ni les frasques ni les congédiements
fracassants ne viennent entacher. En 1962 commence une nouvelle émission hebdomadaire où il partage l'antenne avec Roger Beaulu et qui
demeurera un des piliers de la programmation télévisée de la nouvelle décennie: Les Couche-Tard. Le duo y accueille des invités de toutes les
sphères d'activités, tout en réservant une attention toute particulière aux vedettes de passages qui appréhendent, parfois avec raison, leur
passage à l'émission. Remarquons que la chanson thème de l'émission est de la plume d'un jeune auteur-compositeur déjà fort prometteur:
Jean-Pierre Ferland. Les couche-tard demeureront en ondes jusqu'en 1970.

Parallèlement, il anime à la télévision l'émission de variétés Têtes d'affiche (SRC, 1963-1964) et, à la radio, Rien de nouveau sous le soleil
(SRC, 1964), écrite par Henry Deyglun, et Tout le monde y passe (CKAC, 1965). En 1966, Jacques Normand fait partie, avec Jeanne-d'Arc
Charlebois, Muriel Millard et Élaine Bédard, d'une troupe qui va divertir les soldats américains au Viet-Nam. La même année, il participe au
tournage du film nouvelle vague Ils sont nus, de Claude Pierson, au côté de Bourvil. On le retrouvera au grand écran dans Eliza's Horoscope du
Canadien Gordon Sheppard en 1970.

Après la fin des Couche-tard, on le retrouve à la barre de l'émission Le rideau s'ouvre, à CFTM. En 1973, avec Jean Duceppe et Pierre Lalonde,
c'est Pierre, Jean, Jacques sur les ondes de la SRC, puis À ta santé, Jacques, une émission de 90 minutes regroupant une pléiade d'artistes et
d'hommes politiques qui l'ont côtoyé durant sa carrière au Québec et en France. À l'automne de cette année-là, Jacques Normand anime
Normandises à Télé-Métropole, qui ne rencontre pas le succès escompté.

Après un séjour d'un an en France et la rédaction de ses mémoires (Les nuits de Montréal) qui paraissent en 1974, Jacques Normand anime
l'émission du matin à la radio de CKCV et signe une chronique régulière dans le journal Le Soleil, dans sa ville natale, en 1975. En février 1976,
il entame une série de spectacles au restaurant La Portugaise, rue Sainte-Catherine est, à Montréal pendant sept semaines. Puis il accepte le
poste de président du comité organisateur de la Fête nationale de 1976. À l'automne, il donne encore quelques spectacles à La Portugaise et
reprend l'animation de l'émission C'était l'bon temps (CFTM) à la télévision. En août 1977, il anime avec son grand ami Roger Baulu l'émission
radiophonique Les Couche-tôt à CKAC, le dimanche soir de 20 heures à minuit. Il reprend l'écriture et publie un nouveau récit
autobiographique De Québec à Tizi-Ouzou, aux éditions Éditions Stanké, en 1980. Mais des ennuis de santé le forcent graduellement à cesser
ses activités en 1980. Il se remet d'un cancer de la prostate en 1991. Jacques Normand est nommé Chevalier de l'Ordre national du Québec le 25
janvier 1995, et quelques mois plus tard, la compagnie Fonovox réédite la majorité de ses succès des années 1940. Le Festival Juste pour rire lui
rend hommage à l'automne 1996.

Pierre Brousseau a fait paraître La vie tumultueuse de Jacques Normand (Montréal, Editions des Succès populaires, 1963, 82 pages) et le
scénariste Robert Gauthier a écrit Jacques Normand, l'enfant terrible (Montréal, Ed. de l'Homme, 1998, 276 p.) On peut voir Jacques Normand
dans le documentaire Café des artistes (Québec, 1953, ONF, 30 minutes; réalisation: Pierre Petel), avec Lucille Dumont, Gilles Pellerin, Jean
Lajeunesse, Pierre Daigneault et Joséphine Prémice (Haïti). Ses chansons les plus connues ont récemment fait l'objet d'un album de la
"Collection Québec Info Musique", sur étiquette Experience.


Source : disques EXPERIENCE record inc.
Raymond Chouinard
commence sa vie publique
à la station CHRC d'où il se fait congédier
pour avoir interrompu la diffusion d'un
discours du général de Gaule !
Malgré cette bévue
(la première d'une longue série),
il décroche un emploi d'animateur-chanteur
à CKCV quelques jours plus tard.
L'animateur-vedette de la station,
St-Georges Côté lui suggère alors d'adopter le pseudonyme de
Jacques Normand.